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Batailles juridiques autour du droit de préemption des SAFER

Publié le : 01/01/2017 01 janvier janv. 01 2017

Souvent décriées, les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) constituent des institutions structurantes du monde agricole et de l’espace rural. Le droit de préemption, qui leur a été accordé dès leur création en 1960, a pour finalité la régulation du marché foncier agricole, ce qui permet à la fois d’éviter le dérapage des prix et les phénomènes de concentration. Les pouvoirs publics se sont employés activement, au cours des dernières années, à le consolider et à en étendre le champ d’application.

La loi n° 2014-1170 du 13 octobre 2014 dite d’avenir pour l’agriculture, a étendu ce droit de préemption aux cessions de droits démembrés (usufruit, nue-propriété). Le même texte a instauré au profit des SAFER un droit de préemption partielle, lorsque l’aliénation porte simultanément sur des terrains à usage agricole ou à vocation agricole et sur d’autres biens. Enfin, la loi d’avenir pour l’agriculture a brisé ce qui pouvait jusqu’alors être considéré comme un tabou, en instaurant un droit de préemption des SAFER lors de la cession de la totalité des parts sociales d’une société à objet principalement agricole.

Mais ce renforcement de leurs prérogatives ne rend pas les SAFER incontournables. Au prix de montages juridiques plus ou moins subtils ou périlleux, il demeure possible d’échapper à leur droit de préemption. C’est ainsi qu’en 2016, un consortium chinois a pu se porter acquéreur de près de 1.700 hectares de terres dans le département de l’Indre, sans que la SAFER puisse intervenir d’une quelconque manière, l’opération étant, juridiquement, en marge du champ d’application de son droit de préemption.

Répondant à l’émoi suscité par cet événement, le gouvernement a tenté de faire insérer dans la loi dite « Sapin 2 » un amendement aussi audacieux que complexe, destiné, selon le Ministre de l’agriculture, à donner à la SAFER «  les moyens de lutter contre l’accaparement des terres au détriment de l’installation d’agriculteurs ».

Selon les articles 90 de la loi « Sapin 2 », au-delà d’une surface minimale, les biens agricoles acquis par une personne morale de droit privé, ou faisant l’objet d’un apport à une telle personne, devaient être rétrocédés par voie d’apport au sein d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole. Ce dispositif n’était pas destiné à s’appliquer aux sociétés dont l’objet est la propriété agricole ou l’exploitation agricole. Il visait davantage des sociétés de type « holding » conduisant des projets d’investissements massifs dans le foncier agricole.

En complément, l’article 91 de la loi autorisait les SAFER à exercer un droit de préemption, sous certaines conditions, en cas de cession partielle des parts ou actions d’une société dont l’objet principal est la propriété agricole.

L’objectif du législateur était donc, on l’a compris, de soumettre les opérations dites « sociétales » au droit de préemption de la SAFER, lorsqu’elles entraînent ou sont susceptibles d’entraîner un changement de contrôle d’une unité foncière agricole. La SAFER obtenait, de par cette rédaction, un droit de préemption sur les cessions partielles de parts sociales, alors qu’elle ne peut intervenir, en l’état actuel de la législation, qu’en cas de cession de la totalité des parts.

Ces dispositions ont été soumises à la censure du Conseil Constitutionnel par un groupe de soixante députés, qui invoquaient notamment l’atteinte portée au droit de propriété et à la liberté contractuelle. Dans sa décision n° 2016-741 DC du 8 décembre 2016, le Conseil Constitutionnel a invalidé les articles litigieux, mais dans des termes qui ne mettent pas fin au débat. Faisant application de sa jurisprudences dite « amendement Tour Eiffel » (décision n° 85-198 DC du 13 décembre 1985) concernant les cavaliers législatifs, le Conseil Constitutionnel a estimé que ces dispositions relatives aux SAFER, sans rapport avec l’objet de la loi « Sapin 2 », n’avaient pas leur place dans ce texte et devaient dès lors être censurées. Le Conseil s’est abstenu de se prononcer sur le fond, ce qui laisse entière la possibilité, pour le législateur, de reprendre les dispositions litigieuses dans un texte à venir, pour peu qu’il y soit invité… Ainsi, la décision du Conseil Constitutionnel du 8 décembre 2016, ne peut, en elle-même, être interprétée comme une remise en cause du mouvement législatif constant d’expansion des prérogatives des SAFER.

Il est permis de s’en préoccuper, dans la mesure où les juridictions judiciaires, chargées de contrôler la légalité des décisions de préemption et de rétrocession des SAFER, s’interdisent scrupuleusement d’en vérifier l’opportunité.

Certes, un arrêt de la Cour de Cassation du 6 octobre 2016 pourrait être interprété comme le signe d’un réveil judiciaire en la matière. Dans cette affaire abondamment commentée, la Cour de Cassation a approuvé l’annulation d’une décision de préemption de la SAEFR, s’agissant de la cession d’une petite parcelle réalisée dans des conditions telles que l’exercice du droit de préemption était juridiquement impossible. En effet, le vendeur s’était réservé, pour pratiquer le jardinage, la jouissance d’une surface de 1.000 m2, à charge pour lui de procéder à l’entretien du terrain entier. Constatant en outre le caractère très modique du prix de vente, la Cour d’Appel, puis la Cour de Cassation, ont considéré que la vente avait été conclue intuitu personae, de sorte que la SAFER ne pouvait prétendre se substituer à l’acquéreur, ni lui substituer quiconque par l’effet d’une rétrocession

Quel que soit l’intérêt qu’il a pu susciter, s’expliquant notamment par la rareté des censures juridictionnelles en la matière, cet arrêt n’est pas, en soi, une révolution : rares seront les ventes qui présenteront une originalité semblable à celle qui a pu être observée dans cette affaire.

En d’autres termes, malgré ces décisions retentissantes, le droit de préemption des SAFER n’est nullement remis en cause. Il semble promis à un bel avenir, mais les controverses à son sujet le sont, fort heureusement, tout autant.

François ROBBE
Avocat à la Cour
Spécialiste en droit rural
Spécialiste en droit public
Maître de conférences à l’Université Jean-Moulin Lyon 3

 

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